Pour un amateur du premier emblème (sceau) de Québec, voir celui-ci sur une pièce, un bijou ou une cuillère de collection n’est guère surprenant.
Mais certainement pas sur un outil comme une truelle, fut-elle objet de cérémonie…
Au début du XXe siècle, la construction du (premier) pont de Québec, au-dessus du Saint-Laurent, marque et marquera une étape importante dans le développement de la ville et de la région. Rien d’étonnant, par conséquent, à ce que la pose de la première pierre de cet ouvrage exceptionnel ait été soulignée avec faste.
Le 2 octobre 1900, le premier ministre du Canada, sir Wilfrid Laurier, celui du Québec, Simon-Napoléon Parent – qui était également président de la Compagnie du pont de Québec – les membres du clergé, de nombreux invités d’honneur et une importante population participent à ces festivités.
Au cœur de la cérémonie, la pose de la première pierre est relatée ainsi par le journaliste de La Presse dans l’édition du 2 octobre 1900 :
[…] La pose de la pierre angulaire se fait dans une cavité d’une vingtaine de pieds de profondeur, mesurant 120 pieds par 40. La cérémonie consiste dans la présentation d’une adresse par le président et les directeurs de la Compagnie du port à Sir Wilfrid Laurier, qui procède alors à la pose de la pierre angulaire. Une truelle en argent lui est présentée par l’entrepreneur, qui offrit le marteau d’honneur au nouveau premier ministre de la province. Viennent ensuite les discours.
Plus explicite, le journaliste du quotidien Le Soleil (3 octobre 1900) raconte :
À LA PIERRE ANGULAIRE
L’hon. M. Parent invite alors sir Wilfrid, les dignitaires du clergé et quelques personnages marquants à descendre auprès de la pierre angulaire et à procéder à la cérémonie de la pose.
Une magnifique truelle et un maillet en argent solide sont présentés au premier ministre. Dans le temps de le dire les pouvoirs à vapeur fonctionnent et l’immense grue soulève la grosse pierre qui sera la première des assises des piliers de la rive nord du pont de Québec.
On dépose dans une cavité de la pierre en question plusieurs documents importants, registre de la cérémonie, noms des directeurs et actionnaires de la Compagnie du pont, monnaies, etc., puis chacun des personnages vient à son tour poser un peu de ciment sous la pierre et frapper le petit coup de maillet cérémonial.
Sir Wilfrid, accompagné de l’honorable M. Parent, remontent alors sur l’estrade.
La truelle elle-même est l’objet d’une description (Le Peuple-Montmagny, 5 octobre 1900):
[…] La truelle en argent massif, avec laquelle sir Wilfrid Laurier a cimenté la pierre angulaire du Pont de Québec est un chef d’œuvre de joaillerie moderne.
Le manche de la truelle est. Admirablement ciselé. Elle ne pèse pas moins de treize onze. Elle porte l’inscription anglaise » Présentée au Très Honorable Sir Wilfrid Laurier, P. C. G. C. M. G., député de Québec Est, Premier ministre du Canada, par le président et les directeurs de la Compagnie du Pont de Québec, et M. P. Davis, entrepreneur, à l’occasion de la pose de la pierre angulaire du Pont le Québec, 2 octobre 1900. » Puis les armes de la ville en relief et sa devise » Natura fortis industria crescit. »
Le marteau, aussi en argent, pèse douze onces et est incrusté d’or. Ce bijou a été remis à I’hon. S.N. Parent qui en a frappé la pierre à trois reprises. Mgr. Marois se servit aussi de ce marteau sur la pierre. […]
Mais cette desription est erronée : la truelle ne serait pas en argent massif, mais plaqué argent, si l’on se fie aux spécifications du Musée national des Beaux-Arts – l’actuel détenteur.
Et surtout, les inscriptions sont en anglais, comme on peut le voir sur une photo. Ce qui a d’ailleurs fait réagir les journalistes de L’Évènement, comme le rapporte La Presse, dans son édition du 3 octobre 1900 :
Petites trahisons nationales
Sous ce titre, nous lisons dans l’« Évènement »:
Il n’y a qu’une ombre, à notre point de vue, dans la truelle et le marteau offerts à Sir Wilfrid Laurier, à l’occasion de la pose de la première pierre du pont : c’est que les inscriptions sont exclusivement en langue anglaise. Or, on avait toutes les raisons du monde à utiliser la langue française dans cette occasion : 1o. parce que le langue français est officielle ; 2o. parce que le premier ministre du Canada est un canadien-français; 3o. parce que le nouveau premier ministre de la province de Québec, qui est en même temps président de la compagnie du pont est canadien-français ; 4o. parce que la compagnie du pont est en partie composée de Canadiens-français, y compris le secrétaire.
Ce n’est pas avec de pareilles faiblesses ou négligences que la langue- française a chance de vie dans la province.
Comme on oublie vite la St Jean-Baptiste et la vieille devise : « Nos institutions, notre langue et nos lois », sans compter nos droits et privilèges constitutionnels.
Pauvre Jean-Baptiste ! »
Spécifications (Musée national des Beaux-Arts du Québec)
Artiste : Duquet, Cyrille
Titre : Truelle commémorative offerte à sir Wilfrid Laurier
pour la pose de la première pierre du pont de Québec
Date de production : 1900
Technique d’expression : Placage à l’argent et cuivre
Dimensions : 23,5 x 7,5 x 2 cm
Collection : Art ancien / Arts décoratifs (des origines à 1900)
Numéro d’inventaire : 2009.96
Catégorie : Arts décoratifs et design
Culture / Référence culturelle : Canadienne; Québécoise
Mention : Don de Carl Robert Laurier
Sujet : Signe et Symbole; Ornementation